L’occupation des territoires, un enjeu de société

Conférence donnée par René Derouin au Musée de la civilisation de Québec dans le cadre de : Habitat, culture et information, organisé par Solidarité rurale du Québec

Territoire source de culture et d’identité

Le territoire m’a toujours intéressé comme artiste. J’y ai puisé une grande partie de mon œuvre des cinquante dernières années. À Mexico, en 1955, à l’école des Beaux arts, alors que mes professeurs me demandaient d’où je venais, j’étais bien en peine de décrire mon territoire du Nord.

Cela faisait de moi un ignorant sans identité. Je me suis bien promis qu’à mon retour, chez moi, j’investirais mon territoire pour en faire une part de mon identité, de mon œuvre et de ma culture.

Le territoire est une source de richesses et quand j’y intégrerai la nordicité par mes voyages et mes lectures, je découvrirai le sens de notre histoire et comment mes ancêtres y avaient survécus pendant des siècles. Je découvrirai mes méconnaissances de ce pays et le snobisme d’une certaine élite culturelle et son aliénation à ne pas se reconnaître dans cet immense pays nordique.

Lentement, j’intégrerai la nordicité comme identité et je découvrirai la mémoire de mes ancêtres et de leur difficile survivance dans ce pays. Je prenais conscience que ce territoire nous avait métissés et fait de nous des autochtones du Nord. Ce territoire était le mien et je pouvais en parler comme une source de ma culture.

Un long chemin du nord au sud pour découvrir la beauté de ce continent et de mon appartenance à l’Amérique. En 1995, j’ai pensé inviter des artistes de divers pays des Amériques à venir vivre une expérience de recherche sur le territoire laurentien.

J’ai créé une Fondation ayant comme but les échanges d’artistes à travers les Amériques, en réalisant des symposiums internationaux d’art in situ sur le territoire des Laurentides. Le premier symposium aura été LES TERRITOIRES RAPAILLÉS, en hommage à Gaston Miron. Depuis quatorze ans, nous aménageons les Jardins du Précambrien. Nous avons réalisé dix symposiums internationaux d’art in situ et invité des dizaines d’artistes, de nombreux invités de grande renommée à venir discuter d’art in situ, de territoire, de culture et d’environnement. Nous avons actuellement trois kilomètres de sentiers où des artistes de divers pays ont été invités à créer des œuvres éphémères.

C’est un laboratoire de recherche qui, d’un symposium à l’autre, questionne et compare nos similitudes de culture et d’identité et développe une meilleure connaissance du territoire que nous habitons.

Des invités comme Pierre Dansereau, Henri Dorion, Louis Edmond Hamelin, entre autres, sont venus rencontrer les artistes. En 2009, Louis Gilles Francoeur et Yanick Villedieu étaient nos conférenciers d’honneurs sur l’art et l’environnement.

Ces rencontres entre artistes de divers pays des Amériques et de d’autres disciplines nous font découvrir une identité commune.

Nous sommes de la même histoire de la colonisation de l’Amérique, soient française, anglaise, espagnole ou portugaise. Nous avons tous vécus la rencontre avec l’espace de ce continent et les cultures amérindiennes. Voilà la base de notre Américanité!

Citoyen de Val-David depuis 40 ans

Une population de 4 000 qui double en saison touristique. Nous sommes entre Saint- Sauveur et Mont-Tremblant comme un autre modèle de développement du territoire. Communauté en croissance, non motorisée, sans motoneige, ayant deux priorités de développement : l’environnement et la culture, avec une communauté culturelle importante et une population sensibilisée à l’environnent.

Val-David est riche d’organismes culturels : un centre d’exposition, une bibliothèque, un centre d’artistes, l’Atelier de l’île, l’événement 1 001 pots et, pour les jeunes créateurs, le centre le Lézard, la Fondation Derouin avec Les Jardins du Précambrien et de nombreux ateliers d’artistes et d’artisans. Une communauté bien agissante et motivée, pas facile pour les politiciens. Il y a aussi de nombreuses organisations militantes.

Tous ces projets ont été créés par des artistes et appuyés politiquement par nos élus politiques. Ces projets viennent de la base et c’est pourquoi cela fonctionne bien.

L’artiste dans la communauté

En 2007, j’ai donné une conférence à Laval durant l’événement L’ART ET LA VILLE. Mon texte a été publié dans la page Idée du journal Le Devoir et Pierre Maisonneuve m’a invité à son émission Maisonneuve à l’écoute, à Radio Canada. J’y ai parlé de l’engagement de l’artiste dans la communauté et de l’importance de sortir de notre ghetto culturel. J’ai partagé ma grande inquiétude face à notre culture, qui était menacée de folklorisation et lui donnai comme exemple flagrant l’autoroute 15 nord où nous pouvions voir, à Sainte-Thérèse, du côté ouest la construction d’un immense complexe commercial à la Walt Disney, qui a remplacé l’usine GM par un immense centre d’achat où rien de notre culture est présente : aucun art public, aucune présence de notre culture; un aménagement au service de la consommation à outrance. Mais voilà, c’est peut-être représentatif de notre avenir! C’est là que 50 000 personnes passent leur fin de semaine! Où est notre politique du 1 % et notre présence culturelle avec le respect de notre espace ? Je vois le vide et la laideur de la mondialisation. Par contre, à l’est de cette même autoroute, le Vieux Sainte-Thérése et ses belles maisons patrimoniales, le vieux Cégep, l’église, le Centre d’artiste et le théâtre du Cégep, se retrouvent finalement folklorisés. C’est pareil ailleurs! Je travaille souvent à Puebla, au Mexique, ville du patrimoine mondial. Le centre historique est magnifique mais à cinq kilomètres, c’est la mondialisation du Walmart et tous les autres. Rien de Mexicain! C’est quoi l’avenir des cultures ?

Pierre Maisonneuve m’a demandé : « Alors, quoi faire ?». Je lui ai répondu qu’il fallait se sortir de notre ghetto d’artistes et investir les centres d’achats où se trouve le monde. Il y a de cela trois ans, bien avant mon projet du MÉTRO VERT de Val-David.

Le Centre d’alimentation Dufresne : Le Métro vert

La réputation de Val-David, comme lieu culturel, est connue depuis longtemps. Mais quand nous arrivons dans cette municipalité, pas grand-chose ne la différencie des autres. Sur la rue principale, une caisse Desjardins laide, un ancien bureau de poste banal entre le style western et la modernité, rien nous dit que nous sommes une communauté avec des créateurs importants et des priorités sur l’environnent et la culture. Comment se fait-il que notre quotidien soit si banal et laid, et que notre culture soit ailleurs?

L’année dernière, je suis à souper avec mon épouse sur une terrasse de la rue principale à Val-David. De l’autre coté de la rue, le centre d’alimentation Dufresne dit LE MÉTRO. Je sais que le propriétaire a des difficultés à faire accepter le réaménagement de son centre d’alimentation qu’il souhaite de grandeur moyenne et que la chaîne Métro voudrait l’inciter à le fermer pour en reconstruire un très grand sur la route 117, au coin de la rue de l’Église. Cette malheureuse alternative obligerait une partie de la population à prendre la voiture pour faire leurs emplettes et complexifierait la vie à la population âgée. En plus, depuis trois ans qu’il essaie de faire passer son réaménagement actuel, tout est bloqué par le comité d’urbanisme et le Conseil Municipal. Jacques Dufresne, le propriétaire, est découragé. Il appartient à la famille fondatrice de Val-David. Il est plus qu’un homme d’affaires. La famille Dufresne a toujours eu une préoccupation sociale depuis un siècle. 75 employés travaillent aujourd’hui à ce centre d’alimentation.

Je regarde le bâtiment et le trouve laid. Je me mets à rêver comment je le verrais comme citoyen et artiste. J’ai l’avantage de pouvoir visualiser mes rêves. Je refais donc le bâtiment entièrement en diverses teintes de vert, y coupe la fausse corniche à la Walt Disney, je replante des arbres et des grimpants tout autour du bâtiment et y réalise une grande murale de 475 pieds. Cette murale aurait un titre : AUTOUR DE MON JARDIN.

Une œuvre d’intégration à l’architecture s’intégrant aux diverses saisons : l’automne, les grimpants deviendront rouges vin se mêlant aux graphies de la murale, l’hiver, la neige y dessinerait de nouveaux motifs avec un éclairage approprié et, au printemps avec son feuillage vert tendre, une nouvelle œuvre prendrait forme en progression sur plusieurs années, selon les saisons.

Une oeuvre signal

Cette intégration signalera le village culturel qu’est Val-David et ces préoccupations environnementales.

Après avoir visualisé ce nouveau MÉTRO VERT, je parle de mon rêve à mon épouse, qui me dit que c’est une belle idée, il faut en parler à Jacques Dufresne, le propriétaire. Celui-ci est emballé par le projet et me remet les plans et devis. Comme je pars en voyage de création pour quelques mois, je lui dis que je vais poursuivre ma réflexion sur ce projet. Me voilà dessinant des fruits et des légumes, des poissons et des oiseaux, des plantes et des insectes : une grande symphonie sur la richesse du territoire. Je fais réaliser une maquette très précise pour le comité d’urbanisme, et nous voilà prêts à affronter les comités à mon retour de voyage. Il se passe alors un miracle! Un consensus rare! Nous avons l’aval de l’urbaniste du conseil municipal et, en consultation publique, un grand enthousiasme de la population de Val-David. En trois semaines, c’est dans le sac! Mais, comme le disait l’écrivain Henri Miller, il faut faire attention à ses désirs: s’ils se réalisent, nous sommes pris avec nos idées!
Le problème se pose. Où trouver l’argent sans subventions gouvernementales? Je propose à Jacques Dufresne de signer un contrat, de réaliser l’œuvre, qu’il paiera les salaires de mes aides ainsi que les matériaux, mais que je demeurerai le propriétaire de l’œuvre et des droits. Cette œuvre restera sur le bâtiment tant que ce sera un centre d’alimentation pour notre village. Voilà notre entente! Nous sommes maintenant à réaliser TOUT AUTOUR DE MON JARDIN pour le printemps 2010.

Projet et contraintes économiques

Ce projet m’aura fait réaliser les forces en jeu dans la destruction de nos municipalités, une force économique sans imagination, que le profit à court terme, répétant les standards et conventions de la laideur importée à cinq kilomètres de Val-David. L’arrivée de Walmart a détruit le centre ville de Sainte-Agathe-des-Monts. Tous les commerces se déplacent assez rapidement sur la grande route 117 autour d’immenses stationnements. Vous connaissez le modèle! Après la consultation publique du MÉTRO- VERT au Centre d’expositions de Val-David, un urbaniste est venu me dire qu’il avait travaillé à la venue de Walmart à Sainte-Agathe parce que la municipalité ne voulait pas que Sainte-Adèle, ville voisine, ne l’obtienne… Ils ont même payé les infrastructures! C’était des forces économiques, qu’il me dit. Alors, je lui ai dit : « vous avez gagné, et vous l’avez votre Walmart, alors, vivez avec, et laissez-nous développer un autre modèle de communauté! ».

René Derouin

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